Nouvelles générations d’agriculteurs : « On mobilise beaucoup d’argent pour peu de rentabilité »

Nouvelles générations d'agriculteurs : "On mobilise beaucoup d'argent pour peu de rentabilité"

Alors que le mouvement de révolte des agriculteurs se poursuit, le gouvernement doit présenter dans les prochaines semaines son projet de loi « en faveur du renouvellement des générations en agriculture ». Un défi de taille puisque la France a perdu près de 20 % de ses exploitations agricoles entre 2010 et 2020. Docteure en sociologie, spécialiste des installations en agriculture, Cécile Gazo explique pourquoi la profession peine à se renouveler.

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Chez les agriculteurs, la colère gronde depuis une semaine. Face à un mouvement de plus en plus marqué, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé vendredi 26 janvier faire machine arrière sur certaines mesures décriées, comme la hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR). Mais le gouvernement devra se montrer plus imaginatif pour empêcher le lent déclin de la profession et redonner de l’attractivité à un métier qui ne donne plus envie aux jeunes. Explications avec Cécile Gazo, docteure en sociologie et spécialiste des installations en agriculture.

Près de 170 000 agriculteurs doivent prendre leur retraite d’ici 2030, selon le ministère de l’Agriculture. Y a-t-il un enjeu à renforcer l’installation de nouveaux agriculteurs ?

Il y a en effet un défi démographique qui va se poser et qui est déjà criant. On a aujourd’hui un nombre de départs d’agriculteurs bien supérieur au nombre d’installations. La production agricole ne représente déjà plus que 1,5 % de la population active. Si rien n’est fait, il y a un risque de voir disparaître le modèle français d’agriculture familiale, voire de s’éloigner des objectifs de souveraineté alimentaire. Historiquement, le modèle agricole français repose sur la figure du chef d’exploitation. Aujourd’hui, il est frappant de constater que le nombre de salariés sur les exploitations augmente, contrairement à celui du nombre de chefs d’exploitation, qui ne cesse de diminuer. L’enjeu est donc de retrouver une vision stratégique pour l’agriculture : qui soutenir, sur quels modèles, et quelles structures d’exploitation pour quelles productions ?


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Quels sont les principaux freins à la reprise des exploitations agricoles ?

Il faut distinguer les cas de reprise d’une exploitation familiale et des créations-reprises hors cadre familial, car les freins sont différents. Dans le premier cas, on a une forte mobilité sociale et professionnelle des enfants d’agriculteurs. Résultat : les enfants font d’autres métiers et les parents se retrouvent sans successeurs, quand les parents ne découragent pas eux-mêmes leurs enfants de reprendre l’entreprise familiale. Lorsque les enfants sont partants, il leur faut encore racheter des parts aux frères et sœurs. Dans les années 1950, l’exploitation revenait généralement à l’un des enfants et les autres pouvaient s’asseoir sur l’héritage. Aujourd’hui, la famille ne fait plus forcément de cadeau à ceux qui reprennent l’exploitation et il faut trouver des arrangements familiaux souvent coûteux. En ce qui concerne les installations d’agriculteurs hors cadre familial, c’est aussi le coût du rachat de l’exploitation qui pose problème, puisque la valeur patrimoniale est souvent décorrélée de la valeur économique. Finalement, on mobilise beaucoup d’argent pour peu de rentabilité financière.

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Les filières des lycées agricoles attirent-elles encore beaucoup de jeunes ?

Dans les cursus de formation initiale, on retrouve un grand nombre de secteurs d’activité liés aux activités agricoles et rurales, mais celui de la production reste celui qui a le plus de mal à recruter, par rapport aux services. Dans la formation continue qui attire également beaucoup de potentiels futurs agriculteurs, il peut exister un décalage assez fort entre le contenu de la formation, qui était historiquement adapté aux enfants d’agriculteurs, et les besoins de la diversité actuelle des profils. En effet, ceux qui envisagent une reconversion professionnelle vers l’agriculture, souvent déjà diplômés, ont davantage un déficit au niveau de la pratique que de la culture générale. L’enjeu est donc de répondre à cette nouvelle diversité des profils.

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Y a-t-il un décalage entre les aspirations des personnes en reconversion professionnelle et celles des enfants d’agriculteurs ?

Ce qui est très présent dans l’imaginaire des personnes non issues du milieu agricole, c’est cette idée qu’elles vont contribuer à changer le modèle agricole à travers une organisation plus collective du travail sur l’exploitation et en faisant de la captation de la valeur ajoutée une priorité. Le développement de réseau de vente directe par le recours au marketing est généralement privilégié aux circuits longs, qui comptent de nombreux intermédiaires. On assiste aujourd’hui à une rupture entre les tenants d’un modèle agricole qui peut être jugé comme « en perdition » et cette frange de personnes qui veulent inventer de nouveaux modèles agricoles avec parfois une vision un peu idéalisée du métier. Il est donc important de faire dialoguer ces deux mondes pour éviter d’aggraver la fracture entre l’offre et la demande au moment des transmissions.

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