Depuis son annonce, la « grande marche civique » contre l’antisémitisme, prévue dimanche à Paris, suscite de vives tensions au sein de la classe politique française. L’initiative se heurte au boycott de La France insoumise et à la participation du Rassemblement national jugée encombrante à gauche et dans la majorité et empêchant l’unité nationale souhaitée.
La marche se voulait consensuelle : une « mobilisation générale » contre la recrudescence des actes antisémites en France – plus de 1 000 en un mois, un record. Mais le défilé annoncé entre l’Assemblée nationale et le Sénat, voulu par leurs présidents Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, a été aussitôt rejeté par Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise.
Pas question pour Marine Le Pen de renoncer. « J’y participerai » et « j’appelle l’ensemble de nos adhérents et de nos électeurs à venir se joindre à cette marche », a-t-elle lancé mercredi.
« Plus il y aura de monde et mieux ce sera », a ajouté la cheffe de file des députés RN, assurant être prête à défiler « en queue de cortège » puisque sa présence dérange. Une polémique similaire avait eu lieu en 2015 pour la manifestation en soutien à Charlie Hebdo, visé le 7 janvier par un attentat islamiste. Le FN avait alors appelé ses partisans à manifester en province.
« À mon sens, le Rassemblement national n’a pas sa place dans cette manifestation », mais « c’est une manifestation publique à laquelle chacun est libre, en conscience, de participer », y compris « chacun des membres du gouvernement », a relevé le porte-parole de celui-ci, Olivier Véran, après le Conseil des ministres.
Les présidents du Sénat Gérard Larcher et de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet ont annoncé qu’ils « ne défileront pas à côté du Rassemblement national » mais seront « en tête du cortège ».
Emmanuel Macron n’a pas dit s’il y participerait mais a mis en garde ceux qui confondent « le rejet des musulmans et le soutien des juifs », dans une allusion claire à l’extrême droite, et ceux qui « préfèrent rester ambigus sur la question de l’antisémitisme par souci de flatter de nouveaux communautarismes », référence cette fois à LFI.
« S’en prendre à un juif », « c’est toujours chercher à atteindre la République », a prévenu aussi le chef de l’État devant le Grand Orient de France, principale obédience française de francs-maçons.
La Première ministre Élisabeth Borne, dont le père de confession juive a été déporté, sera présente à la manifestation, ainsi que plusieurs membres du gouvernement.
Malaise
À gauche, le malaise domine. Le numéro un du Parti communiste français (PCF) Fabien Roussel a affirmé qu’il « ne défilera(it) pas aux côtés » du Rassemblement national (RN), héritier du Front national fondé par Jean-Marie Le Pen « plusieurs fois condamné pour propos antisémites » et par « des hommes qui ont collaboré » avec l’Allemagne nazie.
Le patron des communistes a précisé qu’il marcherait « peut-être à un autre endroit, mais pas avec eux ».

Même embarras chez les socialistes pour qui « la présence du RN à cette marche est illégitime » au vu notamment des propos tenus dimanche par son président Jordan Bardella, pour qui Jean-Marie Le Pen n’était pas antisémite.
Le Parti socialiste (PS) appelle néanmoins « tous les Français, quelle que soit leur position sur la guerre au Proche-Orient, à se joindre à la manifestation ».
Mais les patrons des sénateurs socialistes Patrick Kanner et écologistes Guillaume Gontard ont réclamé que Gérard Larcher « clarifie » le fait que « l’extrême droite n’a pas sa place dans cette marche ».
Les Écologistes y participeront également, mais ont exhorté Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher à exclure les partis d’extrême droite, qui « font de cette marche une étape supplémentaire de leur stratégie de dédiabolisation ».

Le secrétaire général de Renaissance, Stéphane Séjourné, a également émis les plus grandes réserves quant à la présence du RN. « J’appelle solennellement les organisateurs ainsi que les partis politiques qui y participeront à ne pas être les complices de la banalisation d’un parti fondé par des antisémites », a-t-il dit. Le député Renaissance Benjamin Haddad défilera « pour dire aux Français juifs qu’ils ne sont pas seuls ».
Le patron des députés macronistes Sylvain Maillard a de son côté jugé « indécente » la présence du RN à cette marche. Mais il a aussi dit « rejoindre les paroles du président du Crif » Yonathan Arfi qui affirme : « Je ne marcherai qu’aux côtés de ceux qui partagent mes valeurs et je ne regarderai pas si en queue de cortège l’indécence s’y trouve ».
D’autres ont moins d’état d’âme : à droite, Éric Ciotti (Les Républicains), à l’extrême droite Éric Zemmour et Marion Maréchal (Reconquête !) ont immédiatement fait savoir qu’ils en seraient.
L’Église catholique sera elle représentée sans toutefois donner de consigne aux fidèles, laissant « chaque citoyen (…) se déterminer », selon le président de la Conférence des évêques de France (CEF) Éric de Moulins-Beaufort.
À lire aussiUne « période effrayante » : en Europe, la guerre Israël-Hamas attise l’antisémitisme
Boycott de Jean-Luc Mélenchon
Seule La France insoumise n’ira pas. « On ne lutte pas contre l’antisémitisme et le racisme dans la confusion », a estimé la formation dans un communiqué diffusé mercredi. « L’ambiguïté des objectifs de cette démarche permet les soutiens les plus insupportables », dit le parti qui refuse de défiler aux côtés du RN.
Déjà la veille, Jean-Luc Mélenchon avait provoqué une nouvelle polémique en déclarant que « les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous » dimanche, « sous prétexte d’antisémitisme ».

Les massacres du 7 octobre, qui ont fait plus de 1 400 morts côté israélien, ont déclenché une guerre dévastatrice entre le Hamas et Israël qui, depuis, pilonne la bande de Gaza. Selon le mouvement islamiste, les opérations militaires israéliennes y ont fait plus de 10 300 morts.
Depuis un mois, La France insoumise est critiquée de toutes parts, y compris par certaines voix dissidentes en son sein, pour le refus de ses dirigeants de qualifier l’organisation palestinienne islamiste Hamas de « terroriste ». Dans son communiqué, le parti répète vouloir « réunir autour des objectifs de paix pour exiger clairement un cessez-le-feu et la libération des otages ».
Avec AFP